Un des enjeux sociétal actuel porte sur le devenir de l’enfant à l’âge adulte. Quel sera, en effet, le citoyen de demain ? La société actuelle n’est pas une entité figée, elle évolue au fil du temps et ses mœurs changent aussi en conséquence. Ce processus d’évolution sociétal est d’ordinaire un processus qui s’installe progressivement et sans heurt. S’appuyant sur les avancées vertigineuses de la technologie et sur la valorisation du libéralisme, ce processus s’est incontestablement accéléré ces dernières décennies, bousculant au passage le fonctionnement consensuel du groupe social et des individus qui le composent.
Comment la société moderne va-t-elle contribuer à la mutation de l’individu dans son développement ? En effet, le développement de l’enfant s’opère sur plusieurs domaines, celui du rapport à soi, celui du rapport au monde et celui du rapport aux autres. Et c’est au travers de ses trois dimensions que la personnalité se construit et que l’enfant devenant adulte peut occuper sa place sociale, de citoyen. Promouvoir une logique libérale qui s’oppose à l’idée d’engagement et de permanence de lien, si ce n’est avec les objets va forcément induire des mutations dans le développement de l’individu.
Dans le rapport à soi, la société prône une libération de l’individu de toutes contraintes sociales et l’invite à se dégager de toute soumission à une autorité extérieure. Elle va favoriser l’émancipation de l’enfant qui doit soutenir sa quête individuelle dans l’être soi. Un être soi dégagé de toutes formes de déterminisme dont l’enfant pourrait être l’objet. En effet, on assiste à une prise en compte de plus en plus importante de la singularité du sujet, l’accompagnement vers son épanouissement propre. L’enfant n’est plus éduqué pour servir la société, contribué au progrès social et au bien-être de l’humanité mais pour atteindre l’expression optimale de sa liberté et de son indépendance. C’est le bonheur individuel qui prime avec une recherche du plaisir individuel. L’autonomie et l’indépendance de l’enfant deviennent les maîtres mots de l’éducation et celui qui se « débrouille tout seul » est érigé en position de modèle. Qu’en est-il alors de notion d’entraide ?
Le rapport au monde est également impacté par cette promotion sociale du libéralisme. Avec les libertés individuelles, c’est aussi la propriété individuelle qui est valorisée et protégée. Les valeurs telles que le don, le partage et la solidarité deviennent donc désuètes. La priorité étant donnée à soi, il s’agit avant tout de s’assurer que « je » ne manquerais de rien. L’autre est réduit à être un instrument de la construction de ma richesse. On remarque que la recherche permanente du bonheur personnel et immédiat ne laisse aucune place à la patience, à l’ennui, au désir et à la demande. L’enfant de nos sociétés ne sait plus faire avec le manque et comprend de moins en moins la notion de limites. Souvent, il veut « tout », « tout de suite ». La difficulté est que les parents sont mis en situation de culpabilité, celle de ne pouvoir offrir satisfaction à leur enfant dans une société où l’enjeu parental est de préserver la notion plaisir. On observe donc de plus en plus de parents qui souffrent de devoir poser des limites à leur enfant, qui préfèrent une relation apaisée de copinage, plutôt qu’une relation conflictuelle d’autorité. Nombres de parents oublie le caractère vulnérable de leur enfant qui a besoin d’être régulé dans ses activités et d’être protégé de ce qu’il n’est pas encore en mesure de comprendre et d’assimiler. Permettre le libre accès à tout constitue un réel danger pour l’enfant dans sa construction identitaire. Et il est bien du rôle du parent de poser des limites à l’enfant pour qu’il puisse explorer le monde dans un espace repérant et sécurisé.
Dans le rapport aux autres, les nouvelles technologies permettent l’émergence de liens sociaux qui deviennent immédiats, éphémères et solubles. Ne voit-on pas éclore des sites de rencontres amoureux et amicaux qui viennent permettre la consommation éphémère d’un autre déshumanisé par l’écran de l’ordinateur où l’essentiel est réduit à des critères objectifs et à la quantité numérique et non la profondeur du lien qui s’inscrit dans la temporalité. Par ailleurs, la logique libérale en s’opposant à l’idée d’une union indissoluble ne peut qu’attaquer des institutions comme le mariage qui se veulent pérennes tout au long de la vie. On observe donc depuis une vingtaine d’années une tendance certaine à la décohabitation avec la réduction puis l’éclatement de la cellule familiale. Celui-ci se traduit par une diminution du nombre de mariage, l’augmentation de celui des divorces, des PACS, du nombre de couple vivant en concubinage, ainsi que celui des familles monoparentales ou recomposées. L’enfant est souvent pris dans les conflits conjugaux de ses parents qui se séparent. Il vit la séparation au même titre que les adultes. Il la subit, souvent pris en otage, ou pris au piège du conflit de loyauté envers l’un des deux parents, ce qui est une source de grande souffrance pour lui. Les contextes familiaux qui se construisent et se déconstruisent rapidement ne permettent pas à l’enfant de construire des repères stables. Des études montrent qu’actuellement la famille n’est plus vécue comme un havre de paix mais comme une source de tension. La famille étant le plus petit groupe social, que peut-on dire de la qualité du lien social qui ne peut plus supporter la frustration ou de différer sa satisfaction propre.
Dans ce contexte de mutation sociétale soutenue par le libéralisme et l’individualisme, quelle place reste-t-il à l’autorité parentale ? Comment faire loi quand on ne peut border, poser une limite à nos enfants ? Comment pouvons-nous prévenir l’isolement qui se profile pour ces citoyens en devenir qui ne supportent plus la frustration du lien et où chacun prend ses désirs pour la réalité ? Il est du devoir du parent de garantir un environnement stable et riche pour permettre à l’enfant de s’y déployer en toute sécurité et de développer toutes ses compétences.
Z.ELG