Arrêt n° 612 du 25 juin 2014 (13-28.369) – Cour de cassation – Assemblée Plénière –
1. Points « positifs » de cet arrêt :
L’assemblée plénière de la Cour de cassation dans cet arrêt rejette très clairement l’analyse très critiquable développée par la Cour d’Appel de Paris dans son arrêt du 27 novembre 2013, selon laquelle
« (…) une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général, peut dans certaines circonstances constituer une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches ; qu’une telle obligation emporte notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion ».
En fondant son raisonnement sur la notion d’entreprise de « conviction » ou de « tendance » développée par la CEDH, la Cour d’appel introduisait une nouvelle catégorie juridique, l’ « entreprise de conviction exerçant une mission d’intérêt général », notion inédite en droit, aux contours non définis. Ainsi, en ayant recours à cette catégorie sui generis, la Cour ouvrait la voie à l’extension du principe d’obligation de neutralité aux salariés du secteur privé, dès lors qu’ils étaient employés d’ « entreprises de conviction exerçant une mission d’intérêt général ». Or, une telle généralisation est contraire au principe constitutionnel de liberté de conscience et de religion, et aux dispositions du Code du Travail.
Cette notion est dangereuse, car elle ouvre la possibilité aux employeurs de restreindre les libertés individuelle des salariés au nom d’une « conviction laïque », sans offrir la possibilité au juge de contrôler de la finalité et la proportionnalité de ces atteintes aux libertés individuelles.
Cf. Rapport du procureur général, Jean-Claude MARIN
Surtout, on ne saurait ériger la neutralité religieuse et la laïcité en « conviction ». Tous deux constituent au mieux des moyens, mais pas des fins.
Le communiqué de la Cour de Cassation relatif à cet arrêt rappelle à cet effet que le principe de laïcité, entendu au sens de l’article 1er de la Constitution, n’est pas applicable aux entreprises de droit privé qui ne gèrent pas un service public.
De ce point de vue, la Cour de cassation rejette l’analyse développée par la CA de Paris qui incitait à la généralisation du principe de neutralité aux entreprises privées, sous prétexte qu’elles gèrent des missions d’intérêt général.
En effet, le simple fait d’assurer des missions d’intérêt général et d’être financé par des fonds publics ne suffit pas à imposer une interdiction générale et absolue de neutralité religieuse aux salariés.
En rappelant cette position de principe, la Cour coupe-court aux velléités de certains parlementaires qui souhaitent voir adoptée une loi généralisant l’obligation de neutralité aux salariés des entreprises privées, notamment ceux en contact avec de jeunes publics.
2. Points négatifs :
Bien que rejetant la notion d’entreprise de conviction, mettant à mal tout l’argumentaire développé par la CA Paris qui fonde son arrêt sur cette qualification précise, la Cour de Cassation considère que le licenciement est justifié.
Alors même que la CA Paris érigeait la notion d’entreprise de conviction comme principe fondant, à lui seul, le licenciement de la salariée, la Cour de Cassation refuse de censurer cet arrêt, considérant ces motifs comme surabondants.
Le Procureur général admet certes qu’ « à la lecture de l’arrêt attaqué, (…) la cour d’appel a pu commettre des erreurs quant à la justification de la licéité de l’interdiction de manifester la liberté religieuse pour les salariés de Baby Loup, erreurs qui sont à juste titre critiquées par certains moyens ». Mais il n’en tire pas toutes les conséquences de droit qui s’imposent.
Il conclut en effet que la Cour d’Appel « a correctement motivé sa décision en retenant que Baby Loup avait, sans violation injustifiée de la liberté de Mme Y… de manifester ses convictions religieuses, pu restreindre cette liberté et sanctionner cette salariée qui refusait de se soumettre à cette restriction. »
Ainsi, la Cour de Cassation s’aligne sur sa ligne jurisprudentielle classique, selon laquelle les employeurs peuvent restreindre la liberté de leurs salariés de manifester leurs convictions religieuses à condition qu’ils aient un motif légitime de le faire et que la restriction soit proportionnée eu égard à la nature de la tâche à accomplir par le salarié.
En effet, le code du travail autorise l’employeur à apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles des restrictions lorsqu’elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (article L. 1121-1).
Ce même code reconnaît à l’employeur la possibilité de traiter différemment les salariés entre eux lorsque cela répond à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée (article L. 1133-1).)
Pour se faire, la Cour de cassation va « piocher » dans l’argumentaire développé par la Cour d’Appel les éléments lui paraissant pertinents et de nature à constituer un « motif légitime », tout en peinant à démontrer que cette restriction énoncée dans le règlement intérieur de l’association est justifiée et proportionnée au but recherché.
Ainsi, alors même que la Chambre sociale de la Haute juridiction dans son arrêt du 19 mars 2013 avait censuré l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles au motif que la clause litigieuse du règlement intérieur de l’association instaurait une restriction générale et imprécise, qui ne répondait pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail et en déduisait, à juste titre, que le licenciement, était nul, l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière le 25 juin 2014 opère un revirement total et affirme que « la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché ».
Force est de constater que les pressions de toutes parts ont eu raison de la rigueur juridique et de l’impartialité de la Haute juridiction.
Pour le comité 15 Mars, Nora.T, Juriste.
1 Comment
Commentaire extrêmement partial et (donc) dénué d’objectivité. L’assemblée plénière, ici, n’a fait que s’inscrire dans le sillon de sa jurisprudence classique.