RFI : Alors que le rassemblement intervient au moment où le port du voile fait de nouveau polémique, dans quel état d’esprit avez-vous abordé ces rencontres ?
Ahmed Jaballah : Cette année nous sommes plutôt dans un climat apaisé, enfin juste avant cette
nouvelle polémique qui, de nouveau, arrive. La rencontre se tient comme tous les ans, avec beaucoup de participants, qui viennent de toutes les villes de France ; des musulmans, des non musulmans d’autres pays d’Europe. Ça se déroule toujours dans le même climat, un climat serein, d’échanges, de dialogue, etc.
Mais c’est vrai qu’on est inquiets. C’est un petit peu le débat de beaucoup de musulmans, par rapport à cette nouvelle polémique qui va défendre, soit disant, une loi respectant la laïcité, y compris dans les institutions privées.
Quel est le ressenti des participants, eu égard à la possibilité d’une nouvelle loi ?
Malheureusement, les gens aujourd’hui ne voient que la laïcité. On est en train de revoir une laïcité sur mesure. Pour restreindre, en quelque sorte, la pratique musulmane. Parce qu’aujourd’hui, après la loi de 2004 sur le voile intégral, on veut maintenant casser une décision du tribunal qui s’appuie sur des principes de loi basés sur la justice, sur l’égalité. Et on est inquiets par rapport à ça.
Parce que, malheureusement, on est dans une vision restrictive. Une laïcité ressentie comme une laïcité d’exclusion. Alors que l’esprit de la laïcité c’est plutôt un espace de liberté, qui assure à toutes les confessions un droit d’expression religieuse libre sans restriction, sauf, bien sûr, par les grands principes de la loi et le respect des libertés des autres.
L’édition de l’an dernier avait été marquée par de fortes tensions. Nicolas Sarkozy qui était alors président, avait mis en garde votre mouvement contre «les porteurs d’appel à la violence, à la haine et à l’antisémitisme». Six personnes avaient été interdites de séjour sur le sol français. Qu’en est-il cette année ? Quels sont vos rapports avec le gouvernement de François Hollande ?
Nos rapports sont comme d’habitude. Depuis des années, nous sommes en contact direct avec l’administration pour inviter différentes personnalités. L’année dernière, d’une façon unilatérale, il y avait eu cette interdiction spectaculaire ; tout le monde l’a bien compris en pleine campagne présidentielle, il s’agissait de faire des annonces spectaculaires. Mais bon, on est revenu à la même règle. On travaille toujours, on est en contact avec l’administration et les choses se passent bien de ce côté-là. Il n’y a pas de problème.
Les prochaines élections du Conseil français du culte musulman (CFCM) auront lieu en juin, une instance que vous avez boycottée. Vous revenez dans son giron. Vous avez obtenu des garanties de représentativité ?
Nous avons travaillé ensemble sur une réforme du CFCM. Je pense que tout le monde est conscient aujourd’hui qu’il faut dépasser la phase passée, où il y avait quand même des ingérences politiques qui ont traversé cette instance représentative. Aujourd’hui, on s’est mis d’accord pour un CFCM qui va travailler dans un esprit de coordination, loin des ingérences politiques extérieures ou intérieures, avec une présidence collégiale tournante, et le même esprit va être aussi suivi dans les localités et les régions.
Sur cette question de la représentativité, il y a aussi un islam marginalisé, en référence par exemple aux Africains musulmans…
Les Africains sont présents dans le CFCM, puisqu’il y a une fédération africaine qui est représentée. Peut-être que l’on ne parle pas trop d’eux, mais ils sont présents, quand même, au sein du CFCM.
Vous évoquez sur le site de ces rencontres une ambiance fraternelle. Quatre jours dédiés à l’appel, la justice, la dignité. C’est une vraie volonté pour vous, de ne pas stigmatiser les musulmans de France dans une ambiance, on peut le dire, vraiment tendue ?
Oui, c’est notre message .Cette année c’est le 30e anniversaire, et nous avons choisi que le message que nous voulons transmettre se porte sur les valeurs, qui sont des valeurs universelles que nous partageons tous : la justice, la paix, la dignité. Tout le monde croit à ces valeurs et je pense que c’est ça qui doit nous réunir. C’est ça qui doit garantir un bon vivre ensemble dans notre société aujourd’hui.
Le fait que certains chrétiens – tel l’évêque d’Evry Michel Dubost qui sera présent lundi – appellent à créer des liens avec les musulmans, à dépasser les stéréotypes, peut contribuer, selon vous, au dialogue interreligieux, en tout cas faire changer l’opinion, ou bien c’est juste une goûte d’eau ?
C’est une goûte d’eau, mais elle est importante. Je pense que le dialogue interreligieux c’est plutôt une bonne chose. Nous avons entamé l’année dernière cette expérience que nous avons repris cette année aussi, et même élargie dans d’autres pavillons de la rencontre. Et c’est un travail au quotidien, parce que le dialogue ne s’arrête pas uniquement à cette rencontre, il est poursuivi dans les associations, dans les localités. Et nous sommes toujours ouverts à ce dialogue, à ces échanges, parce que c’est nécessaire justement, pour solidifier, renforcer les liens entre les différentes familles philosophiques, religieuses dans notre société.
Ahmed Jaballah, le président de l’UOIF (ici le 3 avril 2012).